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Perception des relations entre les peuples autochtones et Québec

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YVES BOISVERT

Journaliste et animateur de radio québécois il est également chroniqueur en affaires judiciaires et en affaires politiques.

Ce qui me vient à l’esprit quand je pense au rapport des Québécois et des autochtones, c’est notre ignorance. Ignorer dans le sens de ne pas connaître. Mais ignorer dans le sens de ne pas reconnaître l’existence de l’autre. S’ignorer.

Je sais, il ne faut pas généraliser. « Les autochtones », comme groupe homogène, ça n’existe pas. Pas plus qu’il ne faut parler « des Québécois » comme si c’était un bloc monolithique. Longtemps, on a pu passer toute sa vie entre Montréal et les environs sans jamais être en contact avec un membre des Premières nations. Si l’on a vécu à Sept-Îles, à Oka ou à Roberval, on est en contact constant.

Mais même là où l’on se côtoie depuis des centaines d’années, à quel point ces mondes se sont mêlés en profondeur? Le monde « blanc », comme on disait, et le monde « indien », même tout proches, ne se sont jamais vraiment interpénétrés. Comme deux liquides qui se touchent dans une bouteille, sans jamais se mêler, même en l’agitant très fort.

Mes parents ont grandi à La Sarre, Abitibi, dans les années 1920 et 1930. Leurs parents étaient ce qu’on appelait des « colons », qui ont fondé ce village en 1917. Le récit qu’on en faisait chez nous est celui d’une poignée de familles arrivées par le train en plein bois avec un curé pour défricher les terres. Jamais il n'était question des « Indiens » dans les histoires de l’ancien temps, sauf pour dire qu’à l’été, des familles arrivaient par la rivière La Sarre, sorties du bois, qui venaient installer leurs tentes, et qui levaient le camp tout aussi mystérieusement à l’automne. Mes oncles, enfants, savait dire « kwe kwe » et imitaient des mots algonquins pour en rire.

Le très beau film de Richard Desjardins, « Le peuple invisible », raconte très précisément cela. Si près, si loin.

 

Comme bien des Québécois, j’ai souvent trouvé risible et agaçante l’espèce de fascination anthropologique manifestée par le touriste français à la recherche de l’Indien d’Amérique.

Mais au moins, cet intérêt vaguement folklorique était la manifestation d’une sincère curiosité. Curiosité qui nous faisait généralement défaut. Je soupçonne que notre agacement devant ces Français émerveillés était teinté d’une part de mauvaise conscience. Que voulait-on vraiment savoir, nous? Rien, le plus souvent.

Ce n’est que récemment, en lisant les travaux des jeunes historiens, que j’ai réalisé à quel point nos cours d’histoire officielle reflètent cette indifférence. Le personnage de l’Indien était une sorte de figurant, ou comme on dit à l’Union des artistes, un « troisième rôle muet ». Une fois passés les épisodes de guerre et de paix des années d’établissement au XVIIe siècle, l’autochtone disparaît complètement du récit national québécois.

Pour compenser la vision bon-mauvais Indien, et pour contrer l’effacement historique, les pédagogues contemporains ont travaillé fort pour enseigner à nos enfants l’organisation des sociétés autochtones pré-Jacques Cartier. Mais qu’arrive-t-il aux Premières nations après?

Le sous-entendu, c’est que tout le monde devient québécois. La folklorisation, elle vient de nous aussi.

À l’époque où j’étudiais à la faculté de droit de l’Université de Montréal, dans les années 1980, il n’y avait pas encore de cours de droit autochtone. C’était à peine un sujet, dans le chapitre des droits fondamentaux.

J’ai commencé à travailler à La Presse en 1988. J’ai été témoin de la Crise d’Oka et de ses suites judiciaires, politiques. Mais aussi, simultanément, de la nouvelle jurisprudence de la Cour suprême.

Le même été pénible de cet affrontement en banlieue de Montréal impliquant l’armée canadienne, la Cour suprême avait rendu deux décisions historiques, Sioui et Sparrow, qui allaient redéfinir le cadre des relations entre les Premières nations et le Canada. Il y eut beaucoup de haine, de peur et de racisme. Il y en a encore, très évidemment.

Mais mine de rien, dans le chaos de ce conflit étrange, une nouvelle ère était inaugurée.

Je me souviens d’avoir interviewé Jacques Parizeau sur la question de la souveraineté autochtone. Cet homme si brillant, aux idées si claires d’ordinaire, paraissait un peu déstabilisé intellectuellement par le choc imprévu des affirmations nationales autochtones. Ce n’était pas au programme.

Si les peuples autochtones sont des nations, ont-ils un droit à l’autodétermination? Les Cris, les Inuit, les Innus, etc. peuvent-ils, comme les Québécois, faire sécession? Nous sommes tous québécois, oui ou non? C’est quoi, une nation?

Les concepts se brouillaient.

C’est une question qui avait été largement balayée dans le mouvement souverainiste, mais qui soudain devenait majeure. Une perspective, ou disons plutôt une objection nouvelle était soulevée.

De ces décisions des tribunaux et de celles qui ont suivi, il n’a peut-être pas résulté beaucoup de règlements des différends. Mais la conscience de cette existence juridique a eu un grand retentissement symbolique qui perdure. 

À la même époque, un juge de Rouyn, Jean-Charles Coutu, disait au gouvernement : ça n’a pas de sens qu’on se rende dans le Grand Nord une fois par mois pour aller prodiguer notre justice, comme des Chinois qui débarqueraient à Trois-Rivières pour faire appliquer leurs lois (ça viendra peut-être, mais à l’époque ça faisait image). Trente ans plus tard, la même justice arrive dans les mêmes avions des mêmes villages du Nunavik.

Ce qui pour moi est l’espoir d’une évolution, c’est l’émotion qui a traversé tout le pays après la prise de conscience de ce qu’ont été, concrètement, les pensionnats autochtones. Ils sont officiellement connus, étudiés, racontés depuis la commission présidée par Murray Sinclair. Mais soudain, il y a deux ans, la découverte de tombes anonymes a comme secoué tout le pays --du moins les gens de bonne volonté.

Tout d’un coup, colonialisme et violence étaient connectés. L’image de ces enfants arrachés à leurs parents, morts anonymement, disparus, donnait une réalité à ce qu’on était censé « savoir ». Le cœur était atteint, pas seulement par l’intellect. Tout d’un coup, on était un peu moins ignorants. On s’ignorait un peu moins.

Je suis convaincu que nous avons avancés, même s’il y a tant à réparer, à apprendre. Je le vois déjà, la nouvelle génération fait avancer le Québec et les Premières nations un peu plus, et un peu mieux vers ce que je crois encore possible, ce mot devenu un peu délicat : la réconciliation.

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