

UNE PRÉOCCUPATION COMMUNE POUR AUTOCHTONES ET FRANCOPHONES DU QUÉBEC

Chroniqueuse politique au Journal de Québec et au Journal de Montréal; directrice adjointe à l'information au Journal de Québec.
Les Autochtones et les Francophones du Québec, dont le destin s’est maintes fois entrecroisé dans l’histoire, partagent des préoccupations communes par rapport à la préservation et la protection de leurs langues, précieux instrument de transmission de leurs cultures respectives.
« Le langage est ce qui fait de nous des êtres humains. Lorsque la liberté des peuples d’utiliser leur langue n’est pas garantie, cela limite leur liberté de pensée, d’opinion et d’expression, ainsi que leur accès aux droits et aux services publics », a affirmé Audrey Azoulay, directrice générale de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).
Mme Azoulay s’exprimait ainsi l’an dernier, lors du lancement de la Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032), qui vise à attirer l’attention du monde sur la perte alarmante de ces langues, et sur l’importance de les sauvegarder. Ses propos démontrent bien toute l’importance que revêt la sauvegarde d’une langue pour un peuple.
L’UNESCO nous apprenait, à cette occasion, que pas moins de 40 % des 6700 langues autochtones parlées sur la planète sont menacées d’extinction à long terme. L’organisme réclame un plan d’action globale, qui prévoit l’augmentation du nombre de locuteurs, une meilleure maîtrise et utilisation fonctionnelle des langues autochtones, davantage de respect et de dialogue, et un renforcement de la coopération internationale.
Dans les faits, les efforts reviennent à chacun des pays et surtout des nations concernées. On comprend que ces efforts devront être très importants pour permettre la sauvegarde de ces langues. Mais malgré ce constat, chaque petit geste compte, et il doit être posé tant par les peuples autochtones que par le gouvernement, afin d’assurer la survie de ces langues.
Cas unique à Wendake
Parlant de survie, j’ai réalisé récemment, lors d’une entrevue avec Rémy Vincent, grand chef de la Nation Huronne-Wendat, que depuis plus d’un siècle, il n’y a plus de locuteurs hurons et wendats au Québec.
Le cœur m’a serré. C’est d’une grande tristesse, car comme l’exprime très bien Rémy Vincent, la langue est un élément essentiel pour la transmission de la culture.
Le grand chef m’a cependant expliqué que des efforts de revitalisation étaient mis en place, depuis plusieurs années, afin de créer de nouveaux locuteurs de wendat.
C’est donc dire que cette « langue endormie » est en train de revivre, comme l’exprime si bien l’enseignant Marcel Godbout, qui a été l’un des premiers à enseigner le wendat à l’école primaire Wahta’ de Wendake. On l’enseigne désormais au CPE Orak et aux adultes aussi.
« Les enfants apprennent vite et sont fiers », souligne cet enseignant, ajoutant que les aînés qui apprennent le wendat contribuent aussi à insuffler aux autres membres de la famille l’envie de s’y mettre et de contribuer à l’effort.
Il s’agit d’ailleurs d’un cas unique au Canada de revitalisation d’une langue endormie. Si elle peut l’être, c’est grâce à une quantité suffisante de documents où l’on retrouve énormément de vocabulaire.
« Le matériel provient majoritairement des Jésuites et des Récollets, qui devaient apprendre notre langue pour nous évangéliser, à l’époque, et qui avaient donc documenté le vocabulaire dans une douzaine de manuscrits et dans des grammaires », raconte M. Godbout.
L’initiative peut compter sur la linguiste principale Megan Lukaniec, de la communauté huronne-wendat, qui vient de compléter son doctorat en linguistique. Elle se charge notamment de standardiser les mots, car des erreurs au niveau des sons ont été commis par les pères d’origine française qui ont retranscrit la langue. Pour un seul mot, il faut compter entre quatre et 10 heures de travail!
L’objectif ultime consiste à créer des locuteurs, donc des gens qui parlent le wendat, en plus grand nombreux possible.
Situation alarmante
Ce genre d’initiative, qu’il faut saluer haut et fort, a le pouvoir de susciter l’espoir et d’encourager les efforts pour assurer la sauvegarde d’autres langues autochtones.
Au Canada, pour la première fois depuis que de telles données sont recueillies en 1991, en 2021, Statistiques Canada a noté une diminution du nombre d’Autochtones qui peuvent parler une langue autochtone (-4,3%). Fait à souligner, c’est au Québec qu’ils sont le plus nombreux à l’échelle nationale, même si on observe une baisse semblable.
Mais même au Québec, la situation des langues autochtones s’avère alarmante. Des dix langues recensées, selon ce que rapporte la professeure Lynn Drapeau, de l’Université du Québec à Montréal, neuf sont encore parlées.
Toujours selon Statistiques Canada, des milliers d’autochtones du Québec parlent toujours les langues cries, l’Innu, l’Inuttitut, l’Atikamekw et l’Algonquin. Mais dans le cas du micmac, du naskapi et des langues iroquoiennes les locuteurs se comptent par centaines chacun seulement. Il y en a encore beaucoup moins qui parlent le malécite et l’abénaquis.
Pour un portrait plus précis, il sera intéressant de voir les résultats d’une collecte de données plus poussée, qui seront disponibles en 2024.
Initiatives locales
« Au Québec, il y a eu une période où les chercheurs ont grandement contribué à sensibiliser les gens à mieux connaître les langues autochtones, expose Michelle Daveluy, professeure titulaire au département d’anthropologie de l’Université Laval, qui s’intéresse notamment aux langues autochtones depuis plusieurs années.
Maintenant, on affine notre compréhension des différences, dit la chercheuse, et on est rendu plus à l’époque où l’initiative est locale, et où l’appui des gouvernements se fait vraiment en fonction des démarches entreprises par les communautés elles-mêmes ».
Il serait en effet inapproprié de vouloir imposer le modèle québécois aux premières nations quant au chemin à suivre pour protéger leurs langues. À partir du moment où on est conscient que les efforts pour protéger le français ont eu, à une époque, des effets négatifs pour plusieurs autochtones, un pas de recul est nécessaire.
Dans cette optique, il faut laisser la place qui leur revient aux gens concernés pour faire les choses et mettre en place des mécanismes de sauvegarde. Ensuite les gouvernements peuvent arriver en appui. C’est exactement ce qui se passe à Wendake depuis le début des années 2000, puisque l’initiative, comme le souligne l’enseignant Marcel Godbout, a pu bénéficier de subventions d’une chaire fédérale de recherche qui s’est avérée « un carburant important ».
Plus d’initiatives
Depuis quelques années, au Québec, de nombreux efforts sont également effectués pour mieux faire connaître non seulement la langue mais la culture autochtone dans son ensemble, et ce à plus large échelle. Chaque initiative peut être saluée, et il en faut encore davantage.
J’ai eu personnellement le bonheur de découvrir l’auteur-compositeur-interprète Shauit, originaire de Maliotenam et qui chante surtout en innu, en première partie d’un spectacle des Cowboys fringants, au Centre Vidéotron. Il faut en faire plus.
Puis, à l’école, on devrait enseigner aux enfants des notions sur les langues et la culture autochtones, qu’on ne fait qu’effleurer.
Cela aurait certainement le bénéfice de faire comprendre aux jeunes pourquoi il est important de prendre soin de sa langue et de sa culture, et de favoriser une plus grande ouverture envers les autres. À notre époque, nous en avons plus que jamais besoin.